Comment est apparu et a évolué le statut de l'architecte

Comment est apparu et a évolué le statut d’architecte ?

Une architecture sans architecte

Revenons quelque peu en arrière. Avant la Renaissance, l’architecte, tel qu’il exerce aujourd’hui (concepteur et maître d’oeuvre), n’existait pas. L’homme n’a pas attendu l’architecte pour se bâtir un abri, une maison, construire des temples ou des abbayes. Les techniques de construction étaient des techniques vernaculaires. Elles étaient transmises de génération en génération. Cela se faisait par la pratique du chantier sur le terrain de sa maison, de son voisin ou auprès de son maître-constructeur. La fonction de coordination des travaux était alors remplie soit par le propriétaire, soit par le maçon du village, l’artisan, ou le moine bâtisseur.

Temps de conception et temps de construction étaient alors confondus. S’ils pouvaient se confondre, c’est parce que l’échelle du temps du projet et de mise en oeuvre étaient toutes deux longues et locales. Trouver un terrain, des pierres, du bois, tailler, sécher les briques, planter etc…

C’est à la Renaissance que l’architecte-artiste est apparu et que l’architecture comme pratique et culture commune a vu jour. Les guerres qui déchiraient alors l’Europe ont permis de regarder chez les voisins comment ceux-ci construisaient. Quel était le style de leur architecture. C’est ainsi, en prenant du recul et en se confrontant à l’altérité de nos voisins européens que naquit l’idée d’une « culture architecturale ». Une prise de conscience culturelle a lieu et on constate notre « retard » à la vue de l’élégance et du raffinement de l’architecture italienne. Roi, nobles et grands bourgeois font alors appel à ce nouveau profil venu d’Italie : l’Architecte. 

Si cette image de l’architecte-artiste est encore présente dans les esprits, c’est qu’il a bien existé. C’est même grâce à lui que le titre d’Architecte est né.

Un nouveau statut : l’architecte-artiste

Homme du dessin, homme du projet, celui qui sépare le moment de la conception de celui de l’exécution pour séduire ses maître d’ouvrage par le dessin. C’est parce qu’il fallait ces gens qui savent reproduire avec talent les exemples italiens que l’Architecte-artiste est né. L’architecte des Beaux-arts. Celui pour qui compte davantage la ressemblance esthétique d’avec les modèles classiques que l’intelligence d’une réponse contextualisée. C’est ainsi, qu’à la fin du XIXème siècle, on voit encore des frontons et péristyles en pierre être édifiés. Anachronismes cuisants face aux bâtiments d’Adolf Loos par exemple ou aux exploits de Gustave Eiffel.

Dès la création de la fonction d’architecte, l’architecture et le rôle de l’architecte sont mort-nés aux yeux du grand public. Pour ces derniers, l’architecte intervient depuis toujours auprès des notables, des riches en quête de faste, d’un luxe qui leur permettent de se distinguer. Ainsi, historiquement, l’architecte est un artiste.

Avec l’architecture, l’art de bâtir a été rabaissé au rang d’art graphique. Ce n’est plus le meilleur bâtisseur qui remporte le plus grand nombre de contrats, mais celui dont les travaux font le meilleur effet sur le papier. Et ces deux-là sont aux antipodes l’un de l’autre. […] Aux yeux des maîtres anciens cependant, le dessin était seulement le moyen pour se faire comprendre de l’artisan qui exécutait. Comme le poète doit se faire comprendre par l’écrit. Mais nous ne sommes pas encore devenus incultes au point de vouloir inculquer la poésie à un jeune garçon parce qu’il a une jolie écriture. »

LOOS Adolf, Ornement et crime, Payot et Rivages, Paris, 1908, p.102-103

L’architecte-star

Ce constat est d’autant plus grave qu’il est partagé par la majorité de la population. La loi a rendu l’expertise des architectes obligatoire. Leur donnant par là la chance de pouvoir continuer à exister. Mais la restriction des 150m2 les écarte toujours de la commande privée et modeste, ce qui continue à maintenir l’image luxueuse et accessoire que représentent les services d’un architecte.

L’état ne fait que renforcer l’image de cet architecte-artiste. En effet, les relations entre les hommes politiques-bâtisseurs et les architectes sont en parfaite symétrie d’avec les architectes-artistes de la Renaissance et leurs monarques bâtisseurs. Aujourd’hui encore, les figures étatiques font appel aux grands noms des architectes contemporains, les architectes-stars, pour bénéficier du prestige de leur image et de la renommée de leurs oeuvres.

Ces dernières sont souvent le fruit d’une surenchère d’originalité, d’exubérance, de prouesses techniques. Si au XIXème, l’architecture a aussi été moteur de l’évolution technique et scientifique d’une civilisation grâce au travail collaboratif entre ingénieurs, entrepreneurs et concepteurs, la complexité formelle est devenue aujourd’hui une fin en soi. Il s’agit trop souvent d’une liberté purement formelle permise par les capacités techniques quasi-illimitées de notre siècle. Les ingénieurs interviennent alors post-conception pour réaliser les rêves de ces architecte-star et de leur maître d’ouvrage téméraire.

« Ces grands architectes peuvent nous donner une forte expérience individuelle, mais l’admiration devient culte de la personnalité. Nous ne pouvons pas construire une architecture pour tous avec un tel individualisme. C’est l’architecture neutre, anonyme qui devrait marquer notre environnement et c’est ça que nous devons nous efforcer d’améliorer… Nous devons nous rappeler du fait que les architectes qui sont en mesure de mettre de l’ordre dans l’image de nos villes et de nos paysages […] sont bien plus nécessaires que ceux qui créent de grandes œuvres exceptionnelles. » 

FISCHER KAY, architecte danois (1893 – 1965), p.59 dans « Simplifions », Bernard Quirot, 2019, Editions COSA MENTALE

Une nouvelle génération d’architecte : architecte-artisan ?

Aujourd’hui, on constate un intérêt grandissant  pour la formation d’architecte. En parallèle on observe un étalement des « villes » sur nos campagnes, la prolifération de nouveaux tissus urbains fragmentés, décontextualisés et peu durables. Dans ce contexte, les architectes prennent conscience de l’aberration de cette discrimination et de l’ampleur de ses conséquences, aussi bien sur les individus que sur l’environnement que l’on partage.

Je crois que ce qui distingue principalement l’artiste de l’artisan c’est le détachement de l’artiste et de son oeuvre de tout usage. Tandis que pour l’artisan, son travail dépend indissociablement du contexte pour lequel il oeuvre (client, usage(s), lieu etc.). L’architecte, comme l’artisan, s’appuie sur l’expérience de ses prédécesseurs pour mettre en pratique les techniques et savoirs-faire liés à la transformation d’un matériau afin de répondre aux besoins de ses clients et à un usage déterminé.

C’est donc aux nouvelles générations d’architectes de lutter contre cette image anachronique et caricaturale de l’architecte-artiste. Conquérir la légitimité qui devrait être la leur auprès du grand-public comme des autres professionnels de la construction. Montrer qu’une grande majorité d’architecte souhaite simplement améliorer le quotidien et l’environnement des gens qui habitent ou côtoient leurs bâtiments.

pour aller plus loin

  • « Ornement et crime », LOOS Adolf, 1908, Edition PAYOT ET RIVAGES
  • « Simplifions », QUIROT Bernard, 2019, Edition COSA MENTALE
  • « Architecte, du maître de l’oeuvre au disagneur », MAREY Bernard, Edition DU LINTEAU
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Dernière mise à jour le 4 janvier 2025